Quand j’annonce que je suis enlumineur, une personne sur deux me répond « enlumi-quoi ? En luminaire ? » J’ai même eu droit à un « hein ? aluminium » une fois.
Autant vous dire que c’est un peu frustrant de voir à quel point ce métier est peu connu. Et pour cause. Les enluminures, c’est un art médiéval, censé être mort et enterré depuis le XVI ème siècle.
Et pourtant, c’est un métier qui survit, avec ses quelques dizaines d’enlumineurs professionnels en France et dans le monde.
L’histoire de l’enluminure
L’enluminure trouve son origine dans les monastères, dans cette période charnière entre la fin de l’empire romain et le Moyen-Age. Plus précisément, pendant la période mérovingienne.
Car il faut oublier cette expression de Moyen-Age. Le terme recouvrant une période de 1000 ans, autant dire que c’est comme si vous réunissiez sous une même bannière les croisades et Napoléon.
Parlez plutôt d’époque mérovingienne, de l’empire de Charlemagne, du début de la France avec les rois capétiens, parlez du XIII ème siècle et de la brillante époque de Saint Louis, parlez de la guerre de 100 ans, parlez de Louis VI le Gros « qui croyait en Dieu et dans les forces du Mal ».
Parce que, mes amis, toutes ces périodes sont bien différentes, et ça se retrouve aussi dans les enluminures.
Alors, une enluminure, c’est quoi ?
Comme je vous le disais, l’enluminure trouve son origine dans les monastères. Au VI ème siècle , ceux-ci sont en quelque sorte des oasis de paix et de culture en des temps troublés. Chaque monastère essaye de se doter d’une bibliothèque, car il s’agit de pouvoir étudier les textes sacrés et d’unifier la liturgie (au moins à l’échelle locale).
Pour se faire, les monastères ont besoin de moines copistes, qui écriront à la plume les textes sacrés. Ils utilisent du parchemin comme support, qu’ils cousent en cahiers pour en en faire des livres que l’on appelle codex (codices au pluriel).
L’enluminure est née du besoin d’organiser le texte et de le mettre en valeur. Ce sont d’abord les titres, les initiales, les mots importants qui sont enluminés. Comment ? Par une simple écriture en couleur, bien souvent rouge (ruber veut dire rouge, d’où plus tard on parlera de rubrique), puis par l’ajout d’ornement. On rajoute des poissons, des oiseaux, symboles du Christ, des motifs géométriques cloisonnés qui rappellent les émaux, des entrelacs…La lettre devient ornement du texte, mais cet ornement a une réelle utilité : construire et ordonner le texte. Une sorte de surlignage, mais en mieux. Par exemple, le canon de la Messe, qui est le moment le plus important, car le sacrifice de la Croix est renouvelé à ce moment-là, est habilement enluminé d’une croix à la première phrase d’ouverture « Te Igitur ». Le T a la forme d’une croix, alors pourquoi ne pas dessiner une croix comme initiale ?
L’enluminure est avant tout un art de la lettre.
Au fur et à mesure des siècles, l’enluminure se développe au sein des monastères, puis au sein d’atelier laïcs, qui explosent à partir du XIII ème siècle.
De religieuse, l’enluminure se sécularise petit à petit et tourne de moins en moins autour de la lettre et de plus en plus autour de l’illustration voire du simple ornement, bien que les frontières soient minces : c’est ainsi que l’on voit se développer dans les ateliers laïcs, au XV ème siècle, le livre d’heures portatif, soit un livre de prière pour chaque heure de la journée. Bien que religieux, ce petit codex conquiert les strates importantes et riches de la société, car c’est un marqueur social évident, étant donné son coût et l’habileté nécessaire pour peindre de si petits sujets. Le livre d’heure s’accroche bien en évidence à la ceinture, à longueur de journée. Une sorte d’Iphone plaqué diamant de l’époque. Alors, laïc ou religieux ?
Ensuite, concrètement, une enluminure c’est un dessin ébauché directement sur parchemin ou initialement travaillé sur un brouillon puis reporté sur parchemin, qui accueille la pose de métaux (or, argent) et enfin la peinture à la main composée de pigments broyés dans une détrempe.
Pour les métaux, il s’agit principalement de l’or et de l’argent. La feuille d’or et l’or en poudre sont utilisés dès l’Antiquité.
Les feuilles d’or et d’argent se posent avec un mordant qui va permettre de coller la feuille. Il est divers : on trouve la détrempe, utilisée aussi pour les pigments, le jus d’ail, la colle de poisson, la gomme ammoniaque, la colle de peau, le bol d’Arménie.
Les pigments
Les pigments sont des poudres fines d’origine minérale, comme le célèbre lapis-lazuli, très cher, le cinabre, toxique car à base de mercure, l’orpiment (du sulfure d’arsenic!) ou la malachite. Ils peuvent être d’origine organiques végétales, comme la garance et le pastel, ou animale, comme le murex qui fait la pourpre, très cher lui aussi, ou bien le kermès vermilio. Enfin, ils peuvent être d’origine inorganique de synthèse (c à d issus de procédés chimiques qui modifient la structure du matériau initial), comme le blanc de plomb (toxique +++), le vermillon, le bleu égyptien, le minium (celui là est particulièrement beau et dangereux), le vert-de-gris, le jaune de plomb-étain … bref, la prochaine fois que vous entendrez parler de pigments « naturels », tendez l’oreille et répondez le plus benoîtement possible : « naturels comme l’arsenic ou comme le mercure ? »
Les pigments seront utilisés liés dans une détrempe qui se compose le plus souvent de gomme arabique comme fixatif, de clair d’oeuf (appelé aussi très élégamment glaire) comme liant, et d’eau de miel comme assouplissant. C’est la recette de base mais de nombreuses recettes existent.
Etre enlumineur au XXIème siècle
En tant qu’enlumineur, j’utilise ces pigments-là, mais pas les plus toxiques ni les plus chers, que je remplace par des substituts modernes ou par des mélanges. Ceci dit, la technique reste quasiment la même, avec certains avantages de la modernité comme la lampe à dessin ou la plume métallique pour la calligraphie.
Voilà, je crois que nous avons fait un petit tout du monde de l’enluminure. C’était vraiment un tout petit tour, mais j’espère qu’il vous aura un peu éclairé sur ce qu’est l’enluminure.
Et là prochaine fois que je vous dit mon métier, je ne veux pas entendre « enlumi-quoi ? », mais « l’enluminure, oh oui, c’est un art magnifique… Mais du coup, tu préfères l’arsenic ou le mercure ? »
Pauline Bergé-Bourbon
Enlumineur de France